15/01/2011

Contrepoint

C'est un roman d'Anna Enquist un peu complexe, que l'on pourrait d'abord croire réservé aux connaisseurs en musique. Non seulement il fait régulièrement référence aux termes musicaux, mais sa trame même est bâtie sur le contrepoint(*) : alternance entre analyse musicale et écriture, enchevêtrement des émotions de Bach avec celles de l'auteur, conjugaison entre passé et présent.

La "femme" du roman déchiffre les Variations Goldberg, parmi les plus belles pages de Bach. Une oeuvre virtuose et sublime, difficile d'interprétation, une succession de canons et variations sur un même thème ; un exercice ardu pour les mains du pianiste, qui doit tout à la fois assurer techniquement mais rester relié à ses émotions intérieures. En décryptant cette partition, cette femme cherche tout à la fois à maîtriser l'œuvre, à en déterminer la meilleure interprétation, en se souvenant des moments heureux qui lui sont liés ; et par tout cela, à dépasser sa difficulté d'être aujourd'hui. En réalité, Anna Enquist propose un roman intime et délicat, sur une histoire universelle : l'amour inconditionnel et infini d'une mère pour sa fille.

Et c'est finalement aussi une façon pour les néophytes de découvrir et comprendre ce que cette musique apporte à ceux qui l'aiment. Il faut se plonger dans le livre en écoutant l'interprétation de Glenn Gould : de fait, cela m'a donné envie de ré-apprécier chacune des Variations pour en saisir quelque chose de plus, peut-être les clés du mystère…

Extrait :
"La musique révélait de curieuses notions sur le temps, pensa la femme tandis que, les mains posées sur ses genoux, elle fixait ces notes dépouillées. La musique vous entraînait hors du temps, vous mettait dans un état d'où la notion de temps était encore absente. La musique vous emplissait au point que les pendules ne fonctionnaient plus. Pourtant, aucun autre moyen d'expression ne rendait aussi précisément l'écoulement du temps. La musique synchronisait les coups de rame des rameurs, faisait marcher sans difficulté des soldats au même pas, respirer au même moment deux mille personnes dans une salle. Et la musique la renvoyait à son propre silence, car dans chaque début une fin était annoncée. Malgré la tristesse de la conclusion signifiée, elle avait hâte que se déploie la mélodie, que les harmonies s'enchaînent, même vers cette fin maudite. Un mystère."

(*) En musique, le contrepoint est une discipline d'écriture qui superpose de façon organisée des lignes mélodiques distinctes.

2 commentaires:

  1. Anonyme18/1/11

    Ta critique me semble mitigée, j'espère quand même que tu en tires une impression positive. En lisant la 4e de couverture, ça m'a donné envie de réécouter Bach et j'ai espéré que cela te plairait ... Depuis, je nous passe du Bach tous les matins au petit dèj et les filles semblent y être sensibles ;-)
    A très vite !
    L.
    (oui, je suis une lectrice acharnée de ton blog !!!)

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  2. Oui ! ça m'a plu, et je l'ai d'ailleurs passé à lire à F.
    Mais c'est un roman dans lequel il peut être délicat de rentrer quand on n'est pas habitué aux termes et au travail musical, car il y a un vrai va et vient entre la recherche de l'interprétation juste et l'analyse des sentiments éprouvés, et épourvants...
    Merci de ton idée, et de ton cadeau !
    C

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