30/06/2013

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants

En 1506, le sultan Bajazet convie Michel Ange à Constantinople, souhaitant lui confier la conception d'un pont sur la Corne d'Or. Pour l'artiste, c'est  l'occasion d'échapper aux intrigues florentines et de découvrir une autre cour que celle du pape Jules II. Dans ce petit roman fort poétique, Mathias Enard plonge son lecteur - comme le héros du livre - dans les us et coutumes de l'époque ottomane autant que dans les affres de la création, l'inspiration évoluant au gré des quais et des ruelles, des danses et des rencontres.
 
"Trois balles de fourrure de zibeline et de martre, cent douze panni de laine, neuf rouleaux de satin de Bergame, autant de velours florentin doré, cinq barils de nitre, deux caisses de miroirs et un petit coffre à bijoux…"
 
"Tu penses désirer ma beauté, la douceur de ma peau, l'éclat de mon sourire, la finesse de mes articulations, le carmin de mes lèvres, mais en réalité ce que tu souhaites sans le savoir, c'est la disparition de tes peurs, la guérison, l'union, le retour, l'oubli. Cette puissance en toi te dévore dans la solitude. Alors tu souffres, perdu dans un crépuscule infini, un pied dans le jour et l'autre dans la nuit."…
 
"Poivre en grains, bâtons de cannelle, muscade, camphre, piments séchés, pistils de safran, herbe du Turc, aigremoine, cinnamome, cumin, boutons de giroflier, euphorbe et mandragore d'Orient…"
 
"Assis en tailleur sur les coussins, Michel Ange se sent envahi par l'émotion. Ses oreilles en oublient la musique, alors que c'est peut-être la musique elle-même qui le plonge dans cet état, lui fait vibrer les yeux et les emplit de larmes qui ne couleront pas ; comme dans l'après-midi à Sainte Sophie, comme chaque fois qu'il touche la Beauté, ou l'approche, l'artiste frémit de bonheur et de douleur mêlés…"
 
"Huile de Mytilène, savons de Tripoli, riz d'Egypte, mélasse de Crète, tissus d'Italie, charbon d'Izmit, pierres du Bosphore…"
 
"Je ne cherche pas l'amour. Je cherche la consolation. Le réconfort pour tous ces pays que nous perdons depuis le ventre de notre mère et que nous remplaçons par des histoires, comme des enfants avides, les yeux grands ouverts face au conteur. La vérité c'est qu'il n'y a rien d'autre que la souffrance et que nous essayons d'oublier, dans des bras étrangers, que nous disparaîtrons bientôt."
 
"Dans son carnet, il note quelques derniers mots, alors que le navire passe la pointe du Sérail.
Apparaître, poindre, briller.
Consteller, scintiller, s'éteindre."

2 commentaires:

  1. Anonyme17/7/13

    J'avais acheté ce livre pour son extrait : "Tu penses désirer ma beauté....dans la nuit" qui m'avait paru si juste.
    D'autres extraits, les plus poétiques, ceux que vous avez choisis, m'ont également plu. Le reste du livre m'est apparu dénué d'intérêt mais il a déclenché en moi un regain de curiosité pour les œuvres de Michel Ange, et je n'ai pas fini de me régaler...
    Terre et Pierre

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  2. Je revenais d'Istanbul et j'ai eu plaisir à en retrouver l'atmosphère ... L'ensemble vaut surtout pour la poésie en effet : un ingrédient qui me touche toujours !

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