31/12/2009

Pluie Rouge

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Conseillé par Shelby, ce recueil de souvenirs par Cees Nooteboom, écrivain hollandais devenu comme nous amoureux de Minorque : l'isolement, la lumière et la mer, l'austère beauté des terres et de la pierre... De voyage en reportage, de souvenir en prise de conscience, l'auteur est ramené inéluctablement vers ce bout d'île, point de ralliement chaque été.

" Elle parlait le dialecte de l'île, variante du catalan que les îliens tiennent pour une langue à part entière. Souvent ici souffle la tramontana et souvent le xaloc et, avec d'autres vents aux noms tout aussi beaux, ils ont amené les insulaires à parler une langue dure, cassante, pour se faire entendre contre le vent, un peu comme si l'on jetait des tessons de pot de fleur en terre cuite dans une bassine en zinc. "

" A partir de quand est-on vieux ? Ma mère aura cette année quatre vingt dix sept ans, je suis donc encore un enfant, cela aide. Tout le monde parle de l'accroissement de la durée de la vie, mais que dire de l'accroissement de l'âge des enfants ? (...)
La première fois où je me suis brutalement rendu compte de mon âge, c'est le jour où une jolie fille s'est levée pour me céder sa place dans le tram. Au début je ne comprenais pas ce qu'elle voulait et quand j'ai enfin réalisé, je me suis assis pour lui faire plaisir, mais on ne peut pas dire que j'étais heureux. Je continue à me lever, moi, pour les vieilles dames et les femme enceintes. Comment résoudre la contradiction ? (...)
Ce qui m'a surtout fait un choc, c'est qu'elle ait déjà constaté que j'étais vieux alors que je n'y avais pas songé moi-même. Elle voyait à mon apparence extérieure une chose que je ne sens pas à l'intérieur, voilà en gros le problème. (...)

On peut peut-être mesurer la vieillesse au nombre de gens morts que l'on a connus, l'image basculant au moment où l'on constate qu'on connaît plus de morts que de vivants. Mais cela ne veut pas encore dire que l'on ressente quelquechose.
Allons, allons, Nooteboom, tu ne ressens vraiment jamais rien ? Si, le sixième petit verre d'hier soir, il passe moins bien qu'autrefois. Et rester longtemps assis sur ses talons dans un temple japonais, ce n'est pas de tout repos, mais ça ne date pas d'hier. La faculté d'écouter patiemment des bêtises s'est aussi beaucoup émoussée, la critique d'une nouvelle génération d'ignorants s'écoule avec l'eau quand on se lave les mains et quand je vois le tram arriver au loin je n'essaie plus de battre le record du trois cents mètres. "

Gran Rio
Quatorze hommes, quatorze jours,
Un navire sur l'océan.
Sur la grande toile de l'été
Le bateau glisse comme l'araignée.
Un journal d'écume reste dans son sillage
Que nul ne lira.
A ce lieu dans le temps
Je suis de quart sous des étoiles
Qui ne se nomment pas.
La peur que je n'avais pas, je la sens
Aujourd'hui.
J'étais seul au bastingage
Dans mon corps ancien, différent,
Ni pensée, ni bateaux en vue.
Le fret de la Voie lactée
Eclairait la plaine vagabonde
Qui prit finalement une teinte de boue,
Puis le roulis changea, et le second dit
Sables de l'Orénoque.
Alors je vis la terre dans la mer
La bouche avant les yeux

Et plus tard la ville de ta maison.
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