Me voici réconciliée avec
Philippe Claudel. Je n'avais pas du tout
compris son précédent opus "L'Enquête" : une sorte de fiction nébuleuse
autour du monde du travail… tout à la fois angoissante et inutilement
compliquée. L'on retrouve avec "Parfums" la poésie et la
délicate écriture de l'auteur, son art de projeter les images, de nous emmener dans
les atmosphères, les histoires.
63 textes, d’ "Acacia"
à "Voyage", évoquent autant de parfums de l’enfance et
de l’adolescence. Chacun fait resurgir un monde oublié : l’après-rasage du père, les cheveux soyeux des
premières amoureuses, les Gauloises et les Gitanes, la cannelle des gâteaux et
du vin chaud, le charbon qui réchauffe, l’encre de l’écolier, le foin des
champs, le pull-over de l’oncle… A travers tous ces parfums, odeurs,
remugles parfois, Philippe Claudel se raconte aussi, lui et sa Lorraine
natale, sa famille, ses proches, Dombasle, la ville où il est né et habite encore.
Piochez dans cette
cassette aux parfums, dégustez un des courts chapitres, puis refermez l'ouvrage en même temps
que vos yeux pour entrer dans le souvenir…
Cannelle
"Même le vin rouge ordinaire, pour
peu qu'on le laisse frémir longuement dans une casserole sur un coin de
fourneau, après y avoir jeté sucre, tranche d'orange, clou de girofle et
poignée de cannelle, se mue grâce à elle en un diable ensorcelant qui brûle les
mains autour du verre, chauffe bouche et gorge, verse le feu dans le ventre,
fait naître rire et lumières au coin des yeux et sur les joues heureuses que le
froid du dehors a rosies. (…) Alors on se met à parler soudain de minaret, de
toundra et de princesses recluses. De caravansérails, de petits chevaux et de
steppes. De gros tabac, d'épées brisées, d'Empereur en son château transi, de
cuir gelé et de soldats restés fidèles..."
Vieillesse
"Si leurs joues ressemblent à
certains fruits, pommes ou poires, fripés et tavelés quand ils se sont assoupis
trop longuement dans un compotier de faïence, elles en ont aussi l'odeur
cireuse, atténuée, charmante, lointaine et douce, souvenir de parfum plutôt que
parfum lui-même. La mort qui n'est guère loin donne au corps une usure
émouvante comme celle d'un linge de fine étoffe, maintes fois lavé, maintes
fois porté, et dont la trame est devenue presque translucide possède une
souplesse idéale mais que l'on sait fragile. La peau, les cheveux, les doigts
des vieilles personnes sont comme ce linge qu'on voudrait garder toujours et
qu'on entoure de soins afin que jamais il ne se déchire."
Voyage
"Les noms sont des poèmes, les
parfums des esquifs, qui nous mènent dans une douce dérive."
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