En 1506, le sultan
Bajazet convie Michel Ange à Constantinople, souhaitant lui confier la
conception d'un pont sur la Corne d'Or. Pour l'artiste, c'est l'occasion d'échapper aux intrigues
florentines et de découvrir une autre cour que celle du pape Jules II. Dans ce
petit roman fort poétique, Mathias Enard plonge son lecteur - comme le héros du
livre - dans les us et coutumes de l'époque ottomane autant que dans les affres
de la création, l'inspiration évoluant au gré des quais et des ruelles, des
danses et des rencontres.
"Trois
balles de fourrure de zibeline et de martre, cent douze panni de laine, neuf
rouleaux de satin de Bergame, autant de velours florentin doré, cinq barils de
nitre, deux caisses de miroirs et un petit coffre à bijoux…"
"Tu penses désirer
ma beauté, la douceur de ma peau, l'éclat de mon sourire, la finesse de mes
articulations, le carmin de mes lèvres, mais en réalité ce que tu souhaites
sans le savoir, c'est la disparition de tes peurs, la guérison, l'union, le
retour, l'oubli. Cette puissance en toi te dévore dans la solitude. Alors tu
souffres, perdu dans un crépuscule infini, un pied dans le jour et l'autre dans
la nuit."…
"Poivre en
grains, bâtons de cannelle, muscade, camphre, piments séchés, pistils de
safran, herbe du Turc, aigremoine, cinnamome, cumin, boutons de giroflier,
euphorbe et mandragore d'Orient…"
"Assis en tailleur
sur les coussins, Michel Ange se sent envahi par l'émotion. Ses oreilles en
oublient la musique, alors que c'est peut-être la musique elle-même qui le
plonge dans cet état, lui fait vibrer les yeux et les emplit de larmes qui ne
couleront pas ; comme dans l'après-midi à Sainte Sophie, comme chaque fois
qu'il touche la Beauté, ou l'approche, l'artiste frémit de bonheur et de
douleur mêlés…"
"Huile de Mytilène,
savons de Tripoli, riz d'Egypte, mélasse de Crète, tissus d'Italie, charbon
d'Izmit, pierres du Bosphore…"
"Je ne cherche pas
l'amour. Je cherche la consolation. Le réconfort pour tous ces pays que nous
perdons depuis le ventre de notre mère et que nous remplaçons par des histoires,
comme des enfants avides, les yeux grands ouverts face au conteur. La vérité
c'est qu'il n'y a rien d'autre que la souffrance et que nous essayons d'oublier,
dans des bras étrangers, que nous disparaîtrons bientôt."
"Dans son carnet, il
note quelques derniers mots, alors que le navire passe la pointe du Sérail.
Apparaître, poindre,
briller.
Consteller, scintiller,
s'éteindre."
J'avais acheté ce livre pour son extrait : "Tu penses désirer ma beauté....dans la nuit" qui m'avait paru si juste.
RépondreSupprimerD'autres extraits, les plus poétiques, ceux que vous avez choisis, m'ont également plu. Le reste du livre m'est apparu dénué d'intérêt mais il a déclenché en moi un regain de curiosité pour les œuvres de Michel Ange, et je n'ai pas fini de me régaler...
Terre et Pierre
Je revenais d'Istanbul et j'ai eu plaisir à en retrouver l'atmosphère ... L'ensemble vaut surtout pour la poésie en effet : un ingrédient qui me touche toujours !
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