09/12/2012

Parfums

Me voici réconciliée avec Philippe Claudel. Je n'avais pas du tout compris son précédent opus "L'Enquête" : une sorte de fiction nébuleuse autour du monde du travail… tout à la fois angoissante et inutilement compliquée. L'on retrouve avec "Parfums" la poésie et la délicate écriture de l'auteur, son art de projeter les images, de nous emmener dans les atmosphères, les histoires.
 
63 textes, d’ "Acacia" à "Voyage", évoquent autant de parfums de l’enfance et de l’adolescence. Chacun fait resurgir un monde oublié : l’après-rasage du père, les cheveux soyeux des premières amoureuses, les Gauloises et les Gitanes, la cannelle des gâteaux et du vin chaud, le charbon qui réchauffe, l’encre de l’écolier, le foin des champs, le pull-over de l’oncle… A travers tous ces parfums, odeurs, remugles parfois, Philippe Claudel se raconte aussi, lui et sa Lorraine natale, sa famille, ses proches, Dombasle, la ville où il est né et habite encore.

Piochez dans cette cassette aux parfums, dégustez un des courts chapitres, puis refermez l'ouvrage en même temps que vos yeux pour entrer dans le souvenir…
 
Cannelle
"Même le vin rouge ordinaire, pour peu qu'on le laisse frémir longuement dans une casserole sur un coin de fourneau, après y avoir jeté sucre, tranche d'orange, clou de girofle et poignée de cannelle, se mue grâce à elle en un diable ensorcelant qui brûle les mains autour du verre, chauffe bouche et gorge, verse le feu dans le ventre, fait naître rire et lumières au coin des yeux et sur les joues heureuses que le froid du dehors a rosies. (…) Alors on se met à parler soudain de minaret, de toundra et de princesses recluses. De caravansérails, de petits chevaux et de steppes. De gros tabac, d'épées brisées, d'Empereur en son château transi, de cuir gelé et de soldats restés fidèles..."
 
Vieillesse
"Si leurs joues ressemblent à certains fruits, pommes ou poires, fripés et tavelés quand ils se sont assoupis trop longuement dans un compotier de faïence, elles en ont aussi l'odeur cireuse, atténuée, charmante, lointaine et douce, souvenir de parfum plutôt que parfum lui-même. La mort qui n'est guère loin donne au corps une usure émouvante comme celle d'un linge de fine étoffe, maintes fois lavé, maintes fois porté, et dont la trame est devenue presque translucide possède une souplesse idéale mais que l'on sait fragile. La peau, les cheveux, les doigts des vieilles personnes sont comme ce linge qu'on voudrait garder toujours et qu'on entoure de soins afin que jamais il ne se déchire."

Voyage
"Les noms sont des poèmes, les parfums des esquifs, qui nous mènent dans une douce dérive."

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire